J’ai connu un artiste sculpteur il y a trente ans. De réputation internationale, ses œuvres sont répandues un peu partout. Cette semaine, j’ai pris le risque de le visiter. C’est vrai que j’ai présidé aux funérailles de sa mère l’hiver dernier. J’avais profité de l’occasion pour m’inviter à visiter son atelier. Ce n’est que cette semaine que je me suis décidé. Arrêtez-vous aux détails de la photo choisie et vous comprendrez probablement mon expérience!
J’ai reconnu en cet artiste la patience de Dieu. Une œuvre peut exiger des années de travail. Dans ma méditation, j’ai pris conscience que c’est probablement ainsi que Dieu nous conçoit. Je suis souvent ce tronc dépouillé de son écorce, laissé pour compte dans un coin d’où émerge des nœuds témoins qu’il y a déjà eu des branches et qui sait, des feuilles aux verdures enviables.
Mon ami Vic Dallaire respecte le bois comme Dieu aime ma nature humaine. Plutôt que d’y voir des obstacles, le sculpteur contemple les nœuds du bois comme des complices qui vont rehausser l’œuvre qui va en découler. Dans sa tête, la pièce de bois cache des merveilles à faire découvrir, connaître et apprécier. Je ne vois plus l’être humain de la même manière depuis que mon ami m’a fait découvrir sa spiritualité de la nature. Au-delà de la sensation de la feuille de papier sablé, il y a la tendresse de la main qui caresse.
Si j’étais ce tronc dénudé, est-ce que je m’abandonnerais à l’inspiration d’un tel créateur? La réponse réside dans mon attitude par rapport à Dieu dans ma vie. Suis-je prêt à me laisser sculpter à ce point? Au-delà de mon écorce décharnée et malgré mes nœuds sans branches, suis-je capable de me laisser façonner aux couleurs de Dieu? Mais qui est Dieu pour éveiller en moi une telle confiance?
Ce Dieu, je l’ai reconnu dans la mine défaite de la mère de ce jeune Chinois, Lin Jun. Sa peine est incommensurable. Aucune mesure humaine ne peut encadrer une telle souffrance. Son fils unique était toute sa vie. Il n’y a rien à dire devant les cris du cœur brisé et broyé de cette mère inconsolable et ce père ravagé par ce que la vie présente comme la pire des injustices. Aucun parent ne devrait vivre de telles situations. Au plus profond de leur désespoir, l’impossible s’est produit sous nos yeux. Arrivés au pays la rage au cœur, ces illustres inconnus sont devenus nos amis. Comment un tel miracle ait pu se réaliser?
Sûrement à cause de l’accueil inconditionnel de la communauté chinoise de Montréal d’une part. Je reconnais aussi l’encadrement des autorités de l’université Concordia envers ce couple meurtri qui doit avoir recours à des interprètes pour nous déchiffrer et se faire comprendre. Mais devant de tels pleurs et d’expressions indescriptibles d’un mal si profond, faut-il encore des mots pour saisir l’ampleur du désastre humain? Sans le sou, le peuple s’est laissé interpeler. Les parents ont le droit d’assister au procès de celui qui leur a enlevé leur seul espoir car on le sait, il y a de ces cultures où les enfants assurent les vieux jours des parents. Ils seront donc logés gratuitement et une fondation leur offre de quoi vivre. Sincèrement, nous devons leur offrir ce bien nécessaire qui ne comblera jamais leur perte.
On dit que les parents se sont convertis au christianisme. Témoin de l’ultime cérémonie religieuse et de la mise en terre des cendres de Lin Jun, pourquoi ne pas avouer qu’ils se sont convertis au catholicisme? Là est la source de toutes les consolations du monde. Au-delà de leur peine, la mère manifeste une certaine compassion envers celui qui lui a ravi son fils unique. Aussi, se sert-elle de la mort de son fils pour ériger une fondation pour aider ceux et celles qui ressemblent à celui qu’on dit être le meurtrier de cet être irremplaçable. Il est là le miracle incontestable de la miséricorde vécue au-delà de sa peine.
De par la nature de ses sacrements, le catholicisme offre une actualisation de la résurrection du matin de Pâques. C’est avec le regard de la foi que le drame Lin Jun nous montre la puissance de la grâce dans un monde où se côtoient le meilleur et le pire de la race humaine. D’une part, nous avons un détraqué notoire qui a même popularisé son crime sur You tube et d’autre part, la mère de la victime qui plaide pour qu’on vienne en aide à une jeunesse décapitée de leurs rêves d’enfant pour que de telles monstruosités ne re^roduisent plus.
Dans les méandres infâmes de ce récit familial cauchemardesque, je revois mon ami Vic donner une couleur artistique à un vieux morceau de bois oublié dans un atelier où Dieu continue de ressortir le meilleur qui dort dans ce qu’on croit être le pire de la race humaine. Dieu existe, sinon je ne serais pas ici à écrire ces lignes. Sa patience est encore à l’œuvre car mon ami Vic est encore dans son atelier à caresser un bout de bois perdu. Son amour est de toujours car une mère a réussi à reconnaître que le meurtrier de son fils unique a un mal de vivre plus grand que sa peine. Si Dieu n’existe pas, expliquez-moi cette beauté qui transcende toutes les laideurs de la vie!